Les Mondées en Dauphiné
(extraits du site web http://chrisoulas.fr )

 

            Après avoir terminé sa petafine* et essuyé son canif sur la jambe de son pantalon de velours, le père Joseph le referme avec un claquement sec. Aussitôt la Marie et Anne, sa fille aînée, se lèvent et débarrassent la table. Le père Joseph ouvre le tiroir de l'immense table et y dépose le reste du pain et le pot de fromage. Il va chercher dans la pièce voisine un gros sac de toile de jute rempli de noix. Il les avait cueillies en octobre juste avant les longues pluies d'automne.

Il les avait soigneusement étalées dans le séchoir au dessus de la grange. La récolte avait été bonne, le Raymond, boulanger du village, lui avait commandé des cerneaux et des brisures pour les fêtes, il en gardera quelques sacs pour la famille et pour vendre au marché de la Forteresse, le reste, il le portera au moulin de St Geoirs pour l'huile. Cette fameuse huile qui parfume si bien la salade de doucettes* et rend les ravioles* délicieuses.
Trois coups sont frappés à la porte qui s'ouvre, accompagnée par un courant d'air de début d'hiver.

La pluie n'allait pas tarder mais les voisins de la Caillonnière n'auraient manqué pour rien au monde la mondée chez Joseph. On attend aussi ceux du Veylat, du Haut Brézin, et du Preynat. Le Paul viendra avec son accordéon, la Louise va chanter toute la soirée, c'est sûr et tous les jeunes et moins jeunes vont danser la bourrée et le rigodon.

Joseph met sur sa cuisse une tuile romaine et d'un coup sec, à l'aide d'un maillet de bois, brise l'une après l'autre la coque des Franquettes, des Mayettes et des Parisiennes. L'oncle Henri et Paul font de même, ils mettent tous la noix de la même manière, « sur le ventre », la meilleure façon de garder le cerneau entier. Les cerneaux, réservés à la pâtisserie et à la confiserie sont payés un bon prix. Les morceaux cassés seront broyés, chauffés et pressés pour donner l'huile de noix, une autre merveille du Dauphiné*.
Les femmes et les jeunes décortiquent les fruits, les gamins, sous la grande table de chêne jouent avec les coques vides et commandent des armadas de vaisseaux lilliputiens pendant que les plus grands, devant la cheminée, dessinent dans la pénombre mille arabesques incandescentes avec des brindilles retirées de l'âtre. Les conversations et ragots vont bon train, combien de rumeurs et de rancœurs sont nées lors de ces mondées ? On parle de la famille, des évènements. De temps en temps, une histoire amusante fait rire l'assemblée à gorges déployées. Les verres se remplissent, blanc ou rouge, le vin nouveau est savouré, discuté mais toujours apprécié ... Tard dans la soirée, la maîtresse de maison apportera la gratinée et les gâteaux aux noix. Dans certaines familles, ce sera le moment de "l'ortolail"*. Filles et garçons danseront puis chacun affrontera le mauvais temps et les bourrasques pour retrouver sa ferme.
La semaine suivante, on ira monder les noix chez un autre, comme on l'avait fait pour la moisson, les vendanges et le « cayon »*.

Aujourd'hui, quelques associations du Dauphiné recréaient ces anciennes mondées, retour aux racines, besoin d'histoire ou nostalgie du bon vieux temps ...

 

 

* PETAFINE  dans le film "les bronzés font du ski" on peut voir, lors d'une scène prise dans une ferme de montagne, deux paysans du coin faire déguster un fromage crémeux, amoureusement affiné dans un pot de grès. C'est de la petafine. Faite avec les restes de vieux fromages, rapés, mélangés à du fromage blanc, un peu de vin blanc, d'eau de vie (gnole) un peu de noix concassées selon les goûts. On "oublie" une semaine, un mois, un an ... un siècle ... explosif !!!

*DOUCETTES   autre nom donné aux mâches.

 

* RAVIOLES   plat traditionnel du Royans et de la région de Romans, importé par les charbonnier italiens venus travailler dans le Vercors. Comme des petits raviolis mais avec une garniture faite à base de fromage.


* LES 7 MERVEILLES DU DAUPHINE : vous les connaissez ? vérifions ... 1) La Tour sans Venin.  2) le mont Aiguille.  3) La pierre percée.   4) les grottes de la Balme  5 )  le pont de Pont de Claix.  6)  la fontaine ardente. 7)  les cuves de Sassenage.  7 bis)  les paniers du Val d'Ars ...

* ORTOLAIL  (pas d'orthographe reconnue)  se déguste avant la soupe. Pendant quelques heures, faire mijoter une bonne soupe aux choux, comme dans le roman et le film du même nom. Dans cette soupe, beaucoup de légumes, un beau morceau de lard. Personnellement, j'aimais quand mes parents y ajoutaient une grande part de pommes de terre. Avant de servir la soupe, à l'aide d'une écumoire, sortir une partie des légumes rapidement égouttés. Gratter de l'ail, beaucoup d'ail, le répartir sur les légumes, sans laisser refroidir. Un long filet d'huile de chou, autrement dit d'huile de colza, mélanger, servir chaud et déguster, même si on se brûle les lèvres, on en redemande ...
Choisissez de l'huile de colza artisanale, celle qui a du goût.

On prépare l'ortolail dans le Sud-Isère et dans la Drôme. Vers St Marcellin et Vinay, pays de la noix, on remplace l'huile de colza par de l'huile de noix, la préparation s'appelle alors la Rotaille. La soupe au chou fait peter ... l'histoire le dit ... la Rotaille fait roter (d'où le nom sans doute) ... quant aux extra-terrestres, c'est une autre histoire ...  

* CAILLON   le cochon